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Arutha
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MessageSujet: Extrait Gratuit   Extrait Gratuit Icon_minitimeMer 26 Sep - 22:03

Krondor: La Larme des Dieux, (extrait)
Raymond E. Feist

Prologue - L’ATTAQUE

Le temps empirait.
Des nuages noirs s’amoncelaient tandis que de violents éclairs déchiraient le ciel et illuminaient la nuit. La vigie perchée dans le mât le plus haut de L’Aube d’Ishap crut apercevoir un mouvement dans le lointain et plissa les yeux pour percer l’obscurité. Il leva la main pour essayer de se protéger de l’écume ainsi que du vent glacial et mordant qui le faisaient larmoyer et il battit des paupières pour chasser l’humidité. Mais le mouvement qu’il avait cru apercevoir avait disparu.
La nuit et la menace de tempête forçaient la vigie à monter la garde dans des conditions exécrables, au cas improbable où le capitaine perdrait son cap. Ce n’était guère possible, songea la vigie, car le capitaine était un marin expérimenté, choisi pour son habileté à éviter le danger, entre autres qualités. Il savait mieux que personne à quel point le passage à cet endroit était hasardeux. Le Temple considérait la cargaison du navire comme inestimable, et les rumeurs sur la présence de pirates près de la côte quegane avaient forcé le capitaine à choisir une route dangereuse, au large du cap de la Veuve, une zone pleine de rochers qu’il valait mieux éviter quand on le pouvait. Mais il n’y avait à bord de L’Aube d’Ishap que des marins aguerris, tous extrêmement attentifs aux ordres du capitaine qu’ils exécutaient avec rapidité, car ils savaient qu’aucun navire drossé sur les rochers du cap de la Veuve n’en réchappait. Chaque homme craignait d’y perdre la vie – c’était bien naturel. Cependant, tous avaient été choisis non seulement pour leurs qualités de marin, mais aussi pour leur loyauté vis-à-vis du Temple. Chacun savait à quel point leur cargaison était précieuse pour ce dernier.
Dans la cale, huit moines d’Ishap, du temple de Krondor, se tenaient debout autour d’un artefact sacré, la Larme des dieux. Il s’agissait d’un bijou de taille étonnante, aussi long et deux fois plus épais que le bras d’un homme corpulent, qui brillait à l’intérieur d’une lueur mystérieuse. Tous les dix ans, une nouvelle Larme était créée au sein d’un monastère dissimulé dans une minuscule vallée secrète des Tours Grises. Lorsqu’elle était prête et que les rites sacrés étaient achevés, une caravane lourdement armée la transportait jusqu’au port des Cités Libres le plus proche. On la déposait ensuite à bord d’un navire qui l’emmenait jusqu’à Krondor. De là, la Larme et une escorte de moines guerriers, de prêtres et de serviteurs poursuivaient leur voyage jusqu’à Salador avant de prendre un nouveau navire et de rejoindre le temple principal de l’ordre, à Rillanon, où le nouvel artefact remplaçait l’ancienne Larme dont les pouvoirs s’éteignaient.
La véritable nature de la gemme sacrée ainsi que l’usage auquel elle était destinée n’étaient connus que des personnes les plus haut placées au sein du Temple. Le marin perché en haut du grand mât ne posait pour sa part aucune question. Il croyait au pouvoir des dieux et savait qu’il servait le bien. De plus, si on lui payait une coquette somme, c’était autant pour monter la garde que pour l’empêcher de poser des questions.
Mais au bout de deux semaines passées à lutter contre des vents contraires et une mer agitée, même l’homme le plus pieux aurait com-mencé à trouver énervantes les incantations incessantes des moines et la lumière bleutée qui s’échappait toutes les nuits de la cale. Ces vents qui n’étaient pas de saison et ces tempêtes inattendues poussaient certains membres de l’équipage à parler à mots couverts de sorcellerie et de magie noire. La vigie adressa une prière silencieuse à Killian, déesse de la Nature et des marins (et en ajouta une petite à l’intention d’Eortis, dont certains disaient qu’il était le véritable dieu de la Mer) pour qu’à l’aube, ils arrivent à Krondor, leur destination. La Larme et son escorte quitteraient rapidement la cité pour prendre la route de l’Est, mais le marin resterait en ville avec sa famille. Le salaire qu’on lui avait versé allait lui permettre de rester un bon moment chez lui.
Le marin sourit brièvement en songeant à sa femme et à ses deux enfants. Sa fille était assez grande à présent pour aider sa mère à faire la cuisine et à s’occuper de son frère, encore bébé. La naissance du troisième était prévue pour bientôt. Comme il l’avait déjà fait cent fois, le marin se jura qu’il allait trouver un autre travail proche de chez lui, afin de pouvoir passer plus de temps avec sa famille.
Un nouveau mouvement fugace près du rivage le sortit de sa rêverie. Les lumières du navire baignaient les moutons soulevés par la tempête, et la vigie était capable de sentir le rythme de la mer. Or quelque chose avait brisé ce rythme, justement. Il scruta la pénombre comme si la seule force de sa volonté pouvait suffire à percer l’obscurité et à lui dire s’ils dérivaient trop près des rochers.
— La lumière bleue qui s’échappe de ce navire me file un mauvais pressentiment, capitaine, avoua Knute.
L’homme auquel il s’adressait dominait tout le monde autour de lui du haut de ses deux mètres trente. La cuirasse en cuir noir qu’il aimait tant dévoilait ses épaules et ses bras imposants. Il y avait ajouté une paire d’épaulettes ornées de piques en acier – un butin pris sur le cadavre de l’un des gladiateurs les plus renommés de Queg. Sa peau était couverte de dizaines de souvenirs d’anciens combats, de vieilles blessures qui se chevauchaient les unes les autres. Une cicatrice lui barrait le visage, du front à la mâchoire, en passant par l’œil droit, d’un blanc laiteux. Mais une lueur rouge diabolique semblait briller à l’intérieur de son œil gauche, et Knute savait que cet œil voyait tout ou presque.
À l’exception des piques sur ses épaulettes, son armure n’avait rien de remarquable. Fonctionnelle, elle était bien huilée et entretenue, mais rapiécée et réparée à de nombreux endroits. Au cou du capitaine pendait une amulette en bronze noircie par le temps et la négligence – mais aussi par bien d’autres choses. Elle paraissait comme tachée par des arts noirs et anciens. La gemme rouge incrustée en son centre brilla d’une faible lueur rouge palpitante lorsque Ours répondit :
— Inquiète-toi plutôt de ces rochers que tu dois éviter, pilote. C’est la seule raison pour laquelle je te garde en vie. (Se tournant vers l’arrière du navire, il s’exprima d’une voix étouffée mais qui s’entendit jusqu’à la poupe Smile Maintenant !
Un marin à la poupe se pencha pour s’adresser à ceux qui se trouvaient dans la cale en contrebas :
— C’est parti !
L’homme qui marquait la cadence leva une main puis en abattit le tranchant sur le tambour coincé entre ses genoux.
Au premier battement, les esclaves enchaînés à leurs bancs levèrent leurs avirons ; au second, ils les abaissèrent et commencèrent à ramer comme un seul homme. La consigne avait déjà été donnée, mais le maître des esclaves qui allait et venait entre les bancs de rame la leur répéta :
— En silence, mes chéris ! Je tuerai le premier qui fera plus que chuchoter !
Le navire, une galère de patrouille quegane capturée lors d’un abordage l’année précédente, gagna de la vitesse. À la proue, Knute s’accroupit et balaya les eaux d’un regard intense. Il avait positionné le navire de façon à arriver tout droit sur la cible, mais il restait un virage à bâbord à effectuer. Ce n’était pas difficile à condition de bien calculer son coup, mais ça n’en restait pas moins dangereux. Brusquement, Knute se retourna :
— À bâbord toute, maintenant !
Ours se retourna à son tour afin de transmettre l’ordre, et le timonier fit tourner le vaisseau. Quelques instants plus tard, Knute ordonna l’orientation du gouvernail par le travers, et la galère fendit les eaux.
Le regard de Knute s’attarda sur Ours un moment, puis revint se poser sur le navire qu’ils étaient sur le point d’aborder. Knute n’avait jamais eu aussi peur de sa vie. Pirate-né qui avait grandi sur les quais de Port-Natal, il avait débuté comme simple marin pour finir par devenir l’un des meilleurs pilotes de la Triste Mer. Il connaissait tous les rochers, tous les hauts-fonds, tous les récifs et tous les courants entre Ylith et Krondor, savait franchir la passe des Ténèbres et naviguer le long des côtes des Cités Libres. C’était d’ailleurs cette connaissance qui lui avait permis de survivre pendant plus de quarante ans quand d’autres hommes plus courageux, plus forts et plus intelligents que lui avaient péri.
Knute sentait Ours debout derrière lui. Il avait déjà travaillé pour l’énorme pirate autrefois. Au retour de campagnes de piraterie le long de la côte keshiane, il s’était emparé de coûteux navires quegans. Une autre fois encore, Ours et lui avaient joué les corsaires pour le compte du gouverneur de Durbin afin de piller les navires du royaume.
Mais durant les quatre dernières années, Knute avait dirigé sa propre bande de pirates, écumant les épaves des navires drossés sur les rochers abusés par les lumières trompeuses que lui et ses hommes faisaient briller ici même, au cap de la Veuve. C’était sa connaissance des rochers du cap qui l’avait ramené au service d’Ours. L’étrange marchand prénommé Sidi qui venait au cap de la Veuve environ une fois par an lui avait demandé de trouver un homme impitoyable à qui une dangereuse mission ne ferait pas peur et qui n’hésitait pas à tuer. Knute avait passé un an à traquer Ours et lui avait fait savoir qu’un travail à haut risque l’attendait, avec à la clé une récompense encore plus élevée. Ours était venu rencontrer Sidi. Knute avait cru qu’il toucherait une commission pour avoir mis les deux hommes en contact ou qu’Ours lui donnerait une partie de son salaire en échange de l’utilisation de son navire et de son équipage. Mais à partir du moment où Knute avait conduit Ours auprès de Sidi, tout avait changé. Au lieu de travailler à son compte, Knute était de nouveau le pilote et le second d’Ours. Son propre navire, un petit caboteur agile, avait été coulé pour mieux souligner les conditions du contrat : Knute et ses hommes deviendraient riches s’ils se joignaient à Ours, sinon, ils mourraient.
Tandis qu’ils fondaient sur le navire ishapien, Knute jeta un coup d’œil à l’étrange lumière bleue qui dansait sur l’eau. Le cœur du petit homme battait à tout rompre, au point de lui faire craindre qu’il ne jaillisse de sa poitrine. Le pirate agrippa fermement le bastingage de bois en demandant un changement de cap mineur, assouvissant son besoin de crier en lançant cet ordre sec.
Knute savait qu’il allait sûrement mourir ce soir. Depuis qu’Ours s’était approprié son équipage, ce n’était qu’une question de temps. L’homme que Knute avait appris à connaître au large des côtes keshianes était déjà mauvais, mais quelque chose avait changé Ours, lui donnant une âme plus noire encore qu’auparavant. Il avait toujours été un homme de peu de scrupules, mais il possédait alors une certaine retenue et rechignait à perdre son temps en tueries et destructions gratuites. À présent, Ours semblait y avoir pris goût. Deux des membres d’équipage de Knute avaient subi une agonie longue et douloureuse pour avoir commis des transgressions mineures, et Ours avait regardé jusqu’à ce qu’ils rendent leur dernier souffle, la gemme à son cou brillant d’un feu vif, tout comme son œil valide.
Ours avait bien insisté sur le fait que cette mission avait pour but de s’emparer d’une relique sacrée des Ishapiens et que tout homme qui interférerait mourrait. Mais il avait également promis que l’équipage garderait pour lui le reste du trésor.
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MessageSujet: Re: Extrait Gratuit   Extrait Gratuit Icon_minitimeMer 26 Sep - 22:04

En entendant ça, Knute avait commencé à échafauder un plan.
Il avait insisté pour effectuer plusieurs sorties en vue de s’entraîner, prétextant que les courants et les rochers recelaient bien assez de pièges de jour. De nuit, un certain nombre d’imprévus risquait de s’abattre sur les personnes mal préparées. Ours avait accédé à sa demande à contrecœur. Ce que Knute espérait s’était alors produit : l’équipage avait appris à recevoir des ordres de lui une fois qu’Ours lui avait cédé le commandement du navire. Cet équipage se composait de rufians, de brutes et de meurtriers, y compris un cannibale, mais ils n’étaient pas très intelligents.
Le plan de Knute était audacieux et périlleux, et le pirate allait avoir besoin de beaucoup de chance. Jetant un coup d’œil par-dessus son épaule, il vit qu’Ours avait les yeux fixés sur la lumière bleue du navire ishapien. Knute lança ensuite un rapide coup d’œil aux six hommes qui faisaient partie de son ancien équipage, avant de poser son regard de nouveau sur leur cible.
Il évalua la distance et leur vitesse, puis se retourna et cria :
— Un point à bâbord ! Vitesse d’abordage !
Ours répéta cet ordre :
— Vitesse d’abordage ! Catapultes prêtes à faire feu !
Des torches furent rapidement allumées, puis mises au contact de grands récipients en peau pleins de feu quegan. Ceux-ci s’enflammèrent à leur tour et l’officier de catapultes s’écria :
— Parées au tir, capitaine !
La voix grave d’Ours résonna comme un grondement lorsqu’il ordonna :
— Feu !
La vigie plissa ses yeux agressés par l’écume soulevée par le vent. Il était persuadé d’avoir aperçu quelque chose en direction du rivage. Brusquement, une flamme apparut, puis une deuxième. Pendant un instant, il fut difficile d’évaluer leur taille et leur distance, mais le marin comprit rapidement, dans un sursaut de peur, que deux grosses boules de feu se précipitaient sur le navire.
De violentes flammes rouge et orangée crépitèrent et craquèrent lorsque le premier missile passa au-dessus de la tête de la vigie qu’il manqua de quelques mètres à peine. Lorsque la boule de feu le dépassa, le marin sentit sa chaleur torride.
— On nous attaque ! hurla-t-il à pleins poumons.
Il savait très bien que tous ses camarades de quart cette nuit-là avaient vu les missiles enflammés. Néanmoins, il était de son devoir d’avertir l’équipage.
La deuxième boule de feu tomba au beau milieu du pont et enflamma l’escalier qui permettait d’accéder au pont avant depuis la cale. Les flammes collantes engloutirent un malheureux prêtre d’Ishap qui poussa de terribles hurlements de douleur en mourant.
Le marin savait que ce n’était pas une bonne idée de rester dans la mâture s’ils devaient être abordés. Il descendit donc du nid-de-pie et se laissa glisser le long d’un hauban en direction du pont tandis qu’une nouvelle boule de feu apparaissait dans le ciel et décrivait un arc de cercle avant d’atterrir sur le pont avant.
Lorsqu’il toucha les planches en bois avec ses pieds nus, un autre marin qui venait de crier : « Des pirates quegans ! » lui tendit une épée et un bouclier rond.
Les martèlements sourds d’un tambour résonnèrent par-delà les vagues. Brusquement, la nuit parut s’animer de bruits et de cris.
Un navire surgit de la pénombre, soulevé très haut par une énorme vague, et les deux marins aperçurent l’imposant bélier en fer dentelé qui ornait la proue de la galère. Dès qu’il se serait enfoncé dans la coque de sa proie, il retiendrait le navire abordé à proximité jusqu’à ce qu’on donne aux esclaves l’ordre d’inverser leurs coups de rame. En reculant, la galère percerait alors un énorme trou dans le flanc de L’Aube d’Ishap qui l’enverrait rapidement par le fond.
Pendant un instant, la vigie craignit de ne plus jamais revoir ses enfants ni sa femme et il marmonna hâtivement une prière en demandant aux dieux qui voulaient bien l’écouter de prendre soin de sa famille. Puis il décida de se battre, car si les marins pouvaient empêcher les pirates de franchir le plat-bord jusqu’à ce que les moines remontent de la cale, la magie de ces derniers permettrait peut-être de repousser les assaillants.
Lorsque la galère emboutit le navire ishapien, ce dernier se souleva au son des hurlements de son équipage et des grincements du bois qui se brise. La vigie et ses compagnons furent projetés au sol.
Tandis qu’il roulait sur lui-même pour éviter le feu qui se répandait comme une traînée de poudre, le marin vit deux mains agripper le plat-bord. Il se remit debout au moment où un pirate à la peau noire franchissait le bastingage et sautait sur le pont, suivi par d’autres assaillants.
Le premier pirate portait une immense et lourde épée courbe et il souriait comme un possédé. La vigie courut dans sa direction, l’épée et le bouclier levés. Les cheveux du pirate pendaient en mèches huileuses qui brillaient à la lueur des flammes. Ses yeux écarquillés réfléchissaient la lumière orangée, ce qui lui donnait un aspect démoniaque. Puis il sourit, et la vigie trébucha, car les dents pointues révélées par ce sourire montraient que l’individu était un cannibale des îles Shaskahan.
Puis la vigie écarquilla les yeux en voyant un autre personnage jaillir derrière le premier pirate.
Ce fut la dernière chose qu’il vit. Figé par la terreur, il fut embroché par le cannibale et murmura dans son dernier souffle :
— Ours…
Ours balaya le pont du regard et referma ses énormes mains avec impatience. Sa voix grondante parut venir de très loin lorsqu’il dit :
— Vous savez ce que je cherche ; le reste est à vous !
Knute, d’un bond, quitta le navire pirate pour rejoindre Ours.
— On les a durement heurtés, alors on a pas beaucoup de temps ! cria-t-il à l’équipage.
Comme il l’espérait, les hommes d’Ours se ruèrent pour tuer les marins ishapiens tandis que Knute faisait signe à la poignée de marins de son ancien équipage, lesquels se dirigèrent vers les écoutilles et les filets de chargement.
Un moine ishapien qui gravissait l’échelle de coupée à l’arrière du navire vit les pirates se déployer en demi-cercle autour de lui. Ses frères le suivaient de près. Pendant un instant, les deux camps se figèrent pour mieux se jauger.
Ours s’avança d’un pas et s’adressa au premier moine d’une voix grinçante comme deux pierres que l’on frotterait l’une contre l’autre :
— Eh toi, là ! Apporte-moi la Larme et je te tuerai rapidement.
Le moine leva les mains et décrivit dans l’air un dessin mystérieux tout en psalmodiant une prière afin d’invoquer la magie. Derrière lui, les autres moines adoptèrent des postures de combat.
Un éclair d’énergie blanche fut projeté sur Ours mais disparut sans lui faire de mal quelques centimètres à peine avant de le toucher, tandis que le navire penchait et commençait à couler par l’avant. Ours éclata d’un rire méprisant.
— Votre magie ne peut rien contre moi !
Avec une vitesse surprenante pour un homme de sa taille, Ours abattit son épée. Le moine, qui ne s’était pas encore remis de sa surprise, ne put rien faire : Ours le fendit comme s’il coupait un melon avec un couteau de cuisine. Les pirates laissèrent échapper un rugissement de triomphe et se jetèrent sur les autres moines.
Ces derniers, bien que dépourvus d’armes et submergés par le nombre, étaient tous entraînés à l’art du combat à mains nues. En fin de compte, ils ne purent lutter contre les matraques, les épées, les poignards et les arbalètes, mais ils retardèrent les pirates au point que le gaillard d’avant était déjà sous l’eau lorsque Ours put enfin s’approcher de l’échelle de coupée menant au pont des passagers.
Comme un rat à travers une grille d’égout, Knute passa devant lui et descendit le premier. Ours passa en deuxième, suivi des autres pirates.
— On a pas beaucoup de temps ! s’écria Knute en balayant du regard les quartiers de l’équipage, sur l’arrière du navire.
À en juger par l’abondance d’articles religieux, cette partie du bateau avait dû être laissée aux moines pour leur usage personnel. Knute entendit l’eau s’engouffrer par le trou sous le gaillard d’avant. Connaissant bien les navires, il savait que la cloison entre le château avant et la cale principale finirait par céder et qu’alors le vaisseau coulerait comme une pierre.
Un petit coffre en bois dans un coin attira son attention. Il se dirigea tout droit vers lui tandis qu’Ours allait vers une grande porte menant à la cabine du capitaine. Cela devenait de plus en plus difficile de se déplacer à cause de l’inclinaison du navire, d’autant que la surface du pont glissait dangereusement. Plus d’un pirate chuta et atterrit durement sur le plancher en bois.
Knute ouvrit le coffret et découvrit à l’intérieur suffisamment de joyaux pour lui permettre de vivre dans le luxe jusqu’à la fin de ses jours. Comme des papillons de nuit attirés par une flamme, plusieurs de ses camarades se tournèrent vers le butin. Knute fit signe à deux pirates qui se tenaient tout près en disant :
— Si vous voulez tirer des sous de ce massacre, remontez sur le pont, ouvrez l’écoutille et baissez le filet de chargement !
Les deux hommes hésitèrent et jetèrent un coup d’œil en direction d’Ours, qui n’arrivait pas à ouvrir la porte. Puis ils échangèrent un regard et firent ce que Knute leur demandait. Ce dernier savait qu’ils trouveraient deux de ses hommes auprès de l’écoutille et qu’ils auraient juste à donner un coup de main. Si Knute voulait que son plan fonctionne, tout le monde allait devoir jouer son rôle sans s’apercevoir que l’ordre des choses à bord du navire avait changé.
Knute déverrouilla une trappe au milieu du pont et l’ouvrit, dévoilant l’échelle de coupée qui menait à la cale. En franchissant l’ouverture pour se rendre auprès du trésor, il sentit que le navire commençait à prendre l’eau et comprit qu’il allait s’enfoncer rapidement par l’avant. Ses hommes et lui devaient faire très vite.
Ours essayait d’enfoncer à grands coups d’épaule une porte visiblement munie d’une sorte de verrou magique, car elle bougeait à peine sous son poids pourtant important. Knute jeta un rapide regard derrière lui et vit le bois se fendre à l’emplacement des charnières. Puis il descendit dans la cale et contempla son contenu. Il savait qu’il y avait là assez pour permettre à chacun des pirates de vivre comme un roi : l’étrange marchand Sidi avait expliqué à Ours que ce navire transportait dix années de la richesse accumulée par le Temple sur la côte Sauvage et dans les Cités Libres, en plus de l’objet magique qu’Ours devait rapporter avec lui.
Knute regrettait d’avoir rencontré Sidi. Lorsqu’il avait croisé son chemin pour la première fois, il ignorait alors que le soi-disant marchand faisait du trafic dans le domaine des arts magiques. Puis, lorsqu’il avait découvert la vérité, c’était trop tard. Knute était persuadé que Sidi cachait beaucoup de choses derrière son physique anodin. C’était lui qui avait donné à Ours son amulette magique, celle qu’il refusait d’enlever de jour comme de nuit. Knute s’était toujours tenu à l’écart de la magie, des temples, des magiciens ou des sorciers. Il avait du flair pour ce genre de choses qu’il redoutait. Or, d’après son expérience, aucun homme n’empestait autant que Sidi, et cette puanteur n’avait rien de ragoûtant.
Au-dessus de sa tête, l’écoutille s’ouvrit et une voix appela :
— Knute ?
— Faites descendre le filet ! ordonna le petit voleur.
Les pirates obéirent. Knute le récupéra rapidement et cria à ses compagnons de descendre le rejoindre tandis qu’il dépliait le vaste filet au centre de la cale.
— On prend l’eau très vite ! ajouta-t-il.
Quatre marins descendirent au moyen de cordes et commencèrent à déposer les lourds coffres de marchandises au centre du filet.
— Commencez par les petits ! recommanda Knute. Ils doivent contenir des joyaux qui valent plus que de l’or pour le même poids.
Les marins étaient motivés par deux choses : la cupidité et la peur que leur inspirait Ours. L’énorme capitaine se jetait à présent sur la porte avec une force inhumaine, et tout le monde au sein de l’équipage savait qu’Ours devenait plus violent de jour en jour. Même ses propres hommes redoutaient à présent de se faire remarquer par lui.
L’un d’eux s’arrêta pour écouter le cri monstrueux que poussa Ours en réussissant finalement à fracasser la porte. Une demi-douzaine de pirates, ayant fini de massacrer l’équipage du navire, se laissèrent glisser le long des cordes et regardèrent le pilote d’un air interrogateur.
— Le capitaine a dit que tout le reste était à nous s’il réussissait à s’emparer de la maudite pierre gardée par ces moines. Vous allez laisser tout ce trésor couler ?
Ils secouèrent la tête et se mirent au travail par groupes de deux afin de déplacer les coffres les plus gros et de les déposer sur le filet. Knute pouvait lire le doute sur leurs visages, mais ils se dépêchèrent et réussirent à placer la plus grande partie du butin dans le filet avant d’attacher celui-ci.
— Soulevez ! ordonna Knute aux pirates restés sur le pont.
D’autres attrapèrent des coffrets et des sacs et tentèrent de retourner à l’échelle de la partie avant du navire. Mais celui-ci coulait par la proue et s’enfonçait de plus en plus vite en roulant doucement.
— Dites-leur de nager à culer ! cria Knute qui remonta sur le pont supérieur en serrant le petit coffre en bois contre lui comme une mère l’aurait fait de son enfant.
Il vit une lueur vive s’échapper de la cabine du capitaine et écarquilla les yeux. Ours se découpait nettement sur cette lumière aveuglante et luttait pour avancer dans l’eau comme s’il était aux prises avec un ennemi.
— Sors ! hurla Knute. Tu vas te noyer !
Non pas qu’il verserait une larme si ça se produisait, mais si Ours retrouvait ses esprits et réussissait à s’échapper, Knute voulait paraître convaincant dans son rôle de pilote loyal et inquiet.
Il courut jusqu’au plat-bord et sauta avec agilité dessus. Puis, en regardant derrière lui tous ceux qui traversaient le pont en glissant, il s’écria :
— Dépêchez-vous !
La galère reculait et l’eau s’engouffrait rapidement dans la coque du navire ishapien. Knute savait que s’il n’avait pas donné l’ordre à la galère de nager à culer, le poids du navire qui sombrait l’aurait entraînée avec lui sous les vagues.
Une chaloupe dansait sur l’eau à quelques mètres en contrebas.
— Par les dieux, il faut vraiment que je quitte ce métier !
Il leva les yeux et vit le filet au trésor descendre vers le pont de la galère. Adressant une rapide prière à tous les dieux dont il se souvenait, Knute sauta hors du navire en perdition et tomba dans l’eau en serrant le petit coffre de toutes ses forces. Le poids attira le pirate vers le fond mais celui-ci lutta et réussit finalement à refaire surface tandis que des voix résonnaient au-dessus de l’eau. De son bras libre, il nagea vers la chaloupe qu’il atteignit très vite. Des mains puissantes le hissèrent à bord de l’embarcation.
— Le navire coule ! s’exclamèrent des pirates en sautant dans l’écume.
— Laissez le reste ! cria un homme qui tenait un sac visiblement plein de pièces d’or.
Il plongea et réapparut à la surface au bout d’une minute. Puis il nagea de toutes ses forces pour amener le sac jusqu’à l’embarcation de Knute. Ce dernier l’aida à monter à bord. Au même moment, à l’intérieur du navire en perdition, résonna le cri angoissé d’Ours :
— Non ! Noooooooon !
— On dirait que le patron a des problèmes, fit remarquer le pirate, trempé jusqu’aux os.
— Rame, répliqua Knute.
Le marin obéit. Knute regarda par-dessus son épaule.
— Quels que soient les problèmes du patron, ça nous concerne plus maintenant.
— Tu vas l’abandonner ? demanda l’un de ses hommes.
— Voyons si cette fichue amulette le garde en vie au fond de l’océan.
Un des pirates sourit. Comme tous ses camarades, il obéissait aux ordres d’Ours par peur autant que par loyauté.

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MessageSujet: Re: Extrait Gratuit   Extrait Gratuit Icon_minitimeMer 26 Sep - 22:04

— Si c’est le cas, il voudra te faire la peau, Knute.
— Faudra d’abord qu’il me retrouve, répondit le pilote rusé. J’ai navigué trois fois aux côtés de ce cinglé et ça fait deux de trop. Votre esclavage a assez duré. Maintenant, c’est notre tour de mener la grande vie !
Les pirates ramèrent.
— S’il s’en sort vivant, fit remarquer l’un des membres de l’équipage d’Ours, il va en trouver d’autres pour le suivre, tu le sais, ça ? Pourquoi je t’égorgerais pas maintenant pour gagner ses faveurs ?
— Parce que t’es aussi cupide que moi. Si tu me tranches la gorge, tu ne réussiras jamais à éloigner la galère des rochers. En plus, même si Ours s’en tire, il sera trop tard. On sera déjà loin.
Ils rejoignirent la galère en même temps que d’autres chaloupes et quelques rares nageurs. Ils grimpèrent rapidement à bord, puis hissèrent les chaloupes tandis que l’embarcation tanguait en grinçant. Certains marins grimpèrent à la corde le long de la coque tandis que d’autres remontaient au moyen de filets les richesses arrachées au navire ishapien. L’équipage agissait avec une rare efficacité, poussé par la cupidité mais aussi la peur de voir brusquement réapparaître Ours. Finalement, les hommes déposèrent les marchandises sur le pont principal et Knute ordonna de mettre les voiles.
— Où va-t-on ? demanda l’un des pirates qui avaient ramené Knute à la galère.
— Jusqu’à un point de rendez-vous sur la côte. Quelques hommes à moi nous attendent pour décharger cette marchandise. Ensuite, nous ramènerons cette galère en haute mer et nous la coulerons.
— Pourquoi ? demanda un autre tandis que l’équipage se rassemblait autour de Knute.
— Pourquoi ? répéta l’intéressé. Je vais te le dire, imbécile. Le navire que nous avons capturé appartenait au Temple d’Ishap. D’ici quelques jours, le monde entier va se mettre à la recherche des types qui l’ont coulé. L’amulette d’Ours le protège peut-être de la magie des prêtres, mais pas nous. Alors, on va diviser le butin en parts égales et ce soir on s’en ira chacun de son côté.
— Ça me paraît correct, commenta l’un des pirates.
— Alors, descendez prendre les rames ! Les esclaves sont à moitié morts et je veux qu’on se sépare et que chacun s’en aille d’ici au lever du soleil ! s’écria Knute.
Au même moment, la voix d’Ours s’éleva à travers la tempête.
— Elle était à moi ! Je la tenais dans mes mains !
Tous les regards se tournèrent vers le navire en perdition. À la faveur d’un éclair qui déchira le ciel, ils aperçurent Ours debout près du bastingage. Lentement, il grimpa dessus, secoua le poing en direction de la galère qui s’éloignait puis sauta dans l’eau.
Comme un cheval que l’on éperonne, la vue d’Ours plongeant dans les vagues comme s’il avait l’intention de les poursuivre à la nage poussa les marins à agir. Dans la cale, le tambour commença à résonner tandis que les pirates paniqués détachaient les esclaves et les poussaient pour prendre leur place. Knute fit une courte pause pour contempler l’endroit où le terrible capitaine était apparu distinctement à la lueur des éclairs. Pendant un instant, il aurait pu jurer que l’œil d’Ours brillait d’un éclat rouge.
Il frissonna et décida de ne plus y penser. Ours entrait dans des colères terribles et possédait une force sans égale, mais même lui ne serait pas capable d’entrer avec fracas dans la cité du prince pour retrouver Knute.
Ce dernier sourit. Les hommes à qui il avait donné rendez-vous attendaient un navire plein de richesses avec un équipage de cadavres. Du vin et de la bière empoisonnés attendaient en bas. Knute les ferait distribuer quelques minutes avant d’arriver à destination. Une fois la cargaison déchargée et à bord des chariots, tous les pirates et les esclaves seraient morts. Ses propres hommes aussi, mais c’était un détail malheureux qu’il ne pouvait éviter. De plus, ça signifiait qu’il toucherait une plus grande part du trésor et les conducteurs des chariots aussi.
Toute sa vie, il avait attendu une occasion comme celle-ci et il comptait bien en profiter, même si pour cela il lui fallait se montrer impitoyable. Aucun de ces hommes ne lèverait le petit doigt pour l’aider si sa vie était en jeu, il ne leur devait donc rien. L’honneur entre voleurs existait peut-être au sein des Moqueurs, où les gros bras du Juste veillaient à ce que tous les membres se conduisent de manière honorable. Mais sur un navire comme celui d’Ours, il n’existait qu’une seule règle, celle de la survie à la force des poings ou de l’intelligence.
Knute lança ses ordres et le navire donna de la bande en tournant contre les vagues, une trajectoire sûre pour s’éloigner des rochers du cap de la Veuve. Très vite, le navire s’éloigna des derniers récifs sous-marins et les rameurs adoptèrent une allure régulière. Le petit pilote vint se camper à la poupe de la galère et regarda par-delà la dunette. Pendant un bref instant, il crut apercevoir quelque chose dans l’eau, un nageur qui suivait le navire à la brasse avec beaucoup de puissance.
Knute s’abîma presque les yeux à scruter les ténèbres, mais il ne revit pas le nageur. Alors, il se frotta les paupières. Ce devait être l’excitation de devenir enfin riche et d’échapper à la tutelle d’hommes comme Ours.
Tournant son esprit vers l’avenir, il retrouva le sourire. Il avait déjà tout arrangé. Il paierait les charretiers et les ferait assassiner si nécessaire de sorte qu’à son arrivée à Krondor, toutes les pièces d’argent, les chaînes en or et les gemmes étincelantes seraient à lui.
— Où on va ? demanda un pirate.
— Capitaine, lui rappela Knute.
— Quoi ?
— Où on va, capitaine, répéta Knute d’un ton froid.
Le pirate haussa les épaules comme si ça n’avait aucune importance.
— Où on va, capitaine ? Vos hommes sont postés loin sur la côte ?
Knute sourit à l’idée que cet homme, comme tous les autres membres de l’équipage, le laisserait volontiers jouer les commandants jusqu’au moment où il lui trancherait la gorge en croyant que ça pourrait le rendre riche. Il décida de jouer le jeu.
— Nous avons rendez-vous avec un gang de voleurs sur la plage au nord de la Pêche, à l’extérieur de Krondor.
— Va pour la Pêche ! s’exclama le pirate avant d’ajouter rapidement : Capitaine !
Toute la nuit, l’équipage rama. Puis, deux heures avant l’aube, Knute appela auprès de lui l’un de ses hommes les plus dignes de confiance.
— Comment ça se passe ?
— Les marins d’Ours sont nerveux, mais ils sont pas suffisamment intelligents pour tenter quelque chose au risque de perdre le butin que nous avons récupéré. Malgré tout, ils sont à cran. On dort pas sur ses deux oreilles quand on fait des crasses à un type comme Ours.
Knute acquiesça.
— Il y a du vin et de la bière dans la cale. Puisque tout est calme pour l’instant, distribue-les.
— Bien, capitaine, répondit l’autre avec un grand sourire. Une petite fête, hein ? Ça aidera à calmer les nerfs.
Knute lui rendit son sourire mais ne souffla mot.
En l’espace de quelques minutes, des bruits de fête s’élevèrent de la cale. Pendant des heures, Knute n’avait entendu qu’un silence lourd de menaces, ponctué par le bruit rythmique des rames gémissant dans leur tolet, du grincement de la coque et du tintement des palans et des moufles dans le gréement. Là, des murmures s’élevèrent, certains surpris, d’autres rieurs, tandis que les marins faisaient le tour des bancs de rame avec des barils et des gobelets.
L’un des pirates à l’autre bout du pont regarda Knute qui lui cria :
— Veille à ce que les hommes dans la mâture descendent à la cale pour boire un petit coup ! Je vais prendre la barre !
Le pirate acquiesça puis relaya les ordres tandis que Knute se rendait auprès du timonier.
— Va donc boire un coup. Je vais l’amener à bon port.
— Vous allez l’échouer sur la plage, capitaine ?
Knute acquiesça.
— On arrivera peu après la marée basse. Avec tout ce butin, notre galère est lourde comme une truie pleine. Dès que nous aurons déchargé tout ça, la marée haute l’éloignera de la plage et nous pourrons la ramener en haute mer.
L’homme acquiesça. Il connaissait bien la côte près de la Pêche. Les plages étaient douces et le plan de Knute paraissait logique.
Ce dernier avait choisi un poison à effet lent. Lorsqu’il prit le gouvernail, il calcula qu’il arriverait sur la plage à peu près au moment où les premiers marins commenceraient à perdre conscience. Avec un peu de chance, les survivants penseraient que leurs compagnons avaient trop bu. Avec plus de chance encore, les charretiers qu’il avait engagés à Krondor n’auraient pas à trancher la moindre gorge. C’étaient des ouvriers qui faisaient un extra, pas des tueurs à gages.
Knute n’avait cessé de proférer mensonge après mensonge. Les charretiers pensaient qu’il travaillait pour le Juste de Krondor, le chef de la guilde des voleurs. Le pilote savait que, sans ce mensonge, il ne les contrôlerait jamais une fois qu’ils auraient posé les yeux sur les richesses qu’il comptait ramener en ville. Il savait aussi qu’au petit matin, il serait tout aussi mort que le reste de l’équipage si les charretiers n’étaient pas persuadés qu’un homme très puissant se tenait derrière lui.
Le bruit de l’eau se modifia et Knute entendit dans le lointain les brisants déferler sur la plage. Il n’avait même pas besoin de regarder pour savoir où il se trouvait.
L’un des pirates monta en titubant sur le pont et s’adressa à Knute d’une voix indistincte :
— Cap’taine, qu’est-ce qu’y a dans cette bière ? Les garçons sont en train de tomber comme des mouches…
Knute sourit au marin, un jeune gredin d’environ dix-huit ans qui s’effondra tête la première. Quelques voix étouffées s’élevèrent dans la cale mais le calme ne tarda pas à retomber.
Le bruit des rames s’était tu. À présent commençait la partie la plus dangereuse du plan de Knute. Il arrima la barre du gouvernail, bondit dans les enfléchures et commença à grimper dans la mâture. Seul, il abaissa une petite voile et attacha son écoute. Cette petite voile était tout ce qu’il avait pour empêcher la galère de tourner face aux vagues et de s’écraser sur la plage.
Lorsqu’il revint près du gouvernail, une main s’abattit sur son épaule et lui fit faire volte-face. Knute se retrouva face à un sourire démoniaque, des dents acérées et des yeux noirs.
— Les Shaskahans ne boivent pas de bière, petit homme.
Knute se figea. Il laissa sa main glisser vers une dague à sa ceinture mais attendit de voir ce qu’allait faire le cannibale. Ce dernier restait immobile.
— Boivent pas de bière, répéta-t-il.
— Je te donnerai la moitié de l’or, chuchota Knute.
— Je vais prendre la totalité, répliqua le cannibale en sortant un grand coutelas. Et ensuite, je te mangerai.
Knute fit un bond en arrière tout en sortant sa dague. Il savait qu’il n’était pas de taille à lutter contre ce tueur chevronné, mais il était bien déterminé à sauver sa peau et le plus grand trésor qu’il ait jamais vu. Il attendit en priant pour avoir quelques minutes de plus.
— Les Shaskahans boivent pas de bière, dit encore une fois le cannibale.
Knute vit les jambes du bonhomme commencer à trembler lorsqu’il fit un pas en avant. Puis il tomba brusquement à genoux, les yeux vitreux. Enfin, il s’effondra tête la première. Knute s’agenouilla prudemment à côté de lui pour l’examiner. Il rengaina sa dague tout en se penchant au-dessus du visage du cannibale. Il renifla, puis se releva.
— Tu bois pas de bière, sale fils de pute, mais tu craches pas sur le cognac.
En riant, Knute détacha le gouvernail tandis que le navire entrait dans les brisants. Il dirigea la galère comme une pointe de flèche en direction d’une longue étendue de plage plate. Tandis que la proue du navire s’enfonçait dans le sable, il aperçut trois grands chariots en haut de la falaise. Six hommes qui attendaient assis sur le rivage se levèrent d’un bond pendant que la galère s’arrêtait. Les charretiers allaient devoir transporter tout l’or dans des brouettes jusqu’au sommet de la falaise où attendaient les véhicules. Ça promettait d’être un labeur éreintant.
Dès que le navire cessa de bouger, Knute se mit à lancer des ordres. Les six charretiers accoururent tandis que le pirate sortait son couteau. Il allait s’assurer que personne parmi l’équipage ne s’en était sorti vivant, puis il allait emmener ce trésor à Krondor.
Il n’existait qu’un seul homme au monde à qui il puisse faire confiance, et cet homme allait l’aider à cacher toutes ces richesses. Ensuite, Knute ferait la fête, s’enivrerait, déclencherait une bagarre et se ferait jeter en prison. Si, par miracle, Ours avait survécu, qu’il vienne donc le chercher, songea Knute. Cette espèce de cinglé ne pourrait jamais l’atteindre au fond de la prison la plus sûre de la cité, sous la surveillance de la police. Au pire, Ours se ferait capturer par les agents, au mieux, il serait tué. Dès que Knute serait sûr du sort réservé à Ours, il négocierait pour sortir de prison, car il était le seul homme à savoir où le navire ishapien avait coulé. Il n’aurait qu’à emmener les hommes du prince et un représentant de la guilde des naufrageurs sur le site, où le mage de la guilde pourrait renflouer le navire et en décharger la babiole que cherchait Ours. Puis il redeviendrait un homme libre pendant qu’Ours croupirait dans les geôles du prince ou se balancerait à un gibet, s’il ne gisait pas déjà au fond de l’eau. Quant au reste du monde, il n’aurait qu’à penser que le trésor avait coulé avec le navire pirate dans les eaux profondes à un mille du rivage.
Knute se félicita de ce plan ingénieux et se mit en devoir d’accomplir sa sinistre besogne pendant que les charretiers de Krondor grimpaient à bord pour décharger « le trésor du Juste ».
À des kilomètres de là, tandis que l’aube se levait, une silhouette solitaire émergea des vagues. Ses vêtements déchirés et trempés par les nombreuses heures passées dans l’eau de mer pendaient sur son corps imposant. Il avait abandonné ses armes pour pouvoir nager plus librement. Il balaya les rochers de son œil valide et calcula l’endroit où il avait dû toucher terre. Tout en foulant le sable sec de ses pieds désormais nus, l’énorme pirate poussa un cri de rage animale.
— Knute ! hurla-t-il vers le ciel. Par le dieu noir, je jure de te pourchasser et de t’embrocher le foie. Mais, d’abord, tu devras me dire où se trouve la Larme des dieux !
Sachant qu’il lui fallait trouver des armes et une nouvelle paire de bottes, Ours prit la direction du nord, vers le temple secret du cap de la Veuve et le village de Pont-Haldon. Là, il dénicherait des hommes pour le servir. Avec leur aide, il traquerait Knute et les autres. Tous les membres de l’équipage qui l’avait trahi subiraient une agonie longue et douloureuse. De nouveau, Ours laissa échapper un rugissement de rage. Lorsque les échos de son cri moururent parmi les rochers balayés par le vent, il redressa les épaules et se mit en route.
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